Il est 19 heures, un mois de Février. Dans un petit village du Rajasthan, nous entrons dans la une pièce de quatre mètres sur six dans une maison située au bord de la mare du village. Deux lampes tempêtes, rechargées pendant la journée sur des panneaux solaires éclairent l’endroit. En quelques minutes, une trentaine de filles âgées entre 6 et 14 ans, accompagnée de 4 ou 5 garçons entrent et s’assoient sur la terre battue, adossées aux murs.
La maîtresse est à peine plus âgée que la plus âgée des élèves. La classe commence dans un joyeux brouhaha. La maîtresse a disposé en cercle sur le sol une série de cartons blancs sur lesquels sont écrites des syllabes en Hindi. Dès qu’une élève à repérer deux syllabes qui peuvent former un mot, elle se précipite sur les cartons, la montre à tous les autres et explique le sens du mot. Parfois, deux élèves se lèvent en même temps et s’ensuit une joyeuse confusion lorsqu’elles ont toutes deux l’œil sur la même carte.
Ensuite une longue phrase est écrite en cercle rond avec les cartes et les élèves doivent chacune à leur tour, faire le tour du cercle en lisant la phrase. Ensuite par groupe de deux, les fillettes chantent des couplets liés à la pluie (si rare est la pluie au Rajasthan que tous prient pour sa venue), à la moisson, aux animaux de la ferme, accompagnant leurs chants de gestes mimant le sujet et toutes les autres reprennent en cœur. La soirée se poursuit de manière ludique jusqu’à 22heures et les enfants, en vaste majorité des filles donc, sont constamment engagées, sautant sur une occasion de répondre à chaque question posée par la maîtresse d’école. Aucun indice de lassitude ou de distraction ne se lit sur leur visage.
Mais ce ne sont pas là des écolières comme les autres. Toute la journée, ces fillettes ont gardé les unes deux ou trois vaches, les autres quatre ou cinq chèvres. Autour de Tilonia, le « Collège des va-nu-pieds » fondé par Bunker Roy il y a quarante ans, a peu à peu organisé cent dix écoles du soir pour les enfants de paysans de toute la région. Dans chaque salle de classe, cinq niveaux d’études se poursuivent simultanément auxquels la maîtresse s’adresse à tour de rôle.
Sita a quatorze ans. La maîtresse lui demande combien de litres de lait sa vache donne chaque jour. « Quatre » répond Sita. « De combien de vaches t’occupes-tu ? » « Trois ». « Combien de litres de lait cela fait-il tous les quinze jours ? » Sita se dirige vers le tableau noir, fabriqué au Collèges de va-nu-pieds par les femmes des villages, sort de sa poche une craie, aussi fabriquée par de jeunes handicapés qui travaillent au Collège et pose la multiplication. Immédiatement trois fillettes s’approchent et l’assistent, vérifiant les chiffres qu’elle aligne et chuchotant leur avis. Ici on n’est pas puni pour aider les voisins lorsque le professeur pose une question. C’est une réaction normale. Toute l’éducation se fait dans le cadre de la coopération et est reliée de façon imagée à la vie quotidienne.
Les enfants des écoles de bergers ont aussi constitué un « Parlement des enfants », fort de quarante députés, en majorité des filles, le seul au monde qui fonctionne tout au long de l’année et se réunit une fois par mois pour discuter des questions qui affectent la vie de ces enfants. Ils prennent ainsi conscience de leurs droits et n’hésitent pas à soulever les questions les plus délicates lorsque des abus sont commis sur certains enfants. Les parents prennent cela très au sérieux et une délégation d’entre eux assiste (en silence) avec les chefs de villages, aux délibérations du parlement. Les enfants font aussi campagnes dans les villages au moment des élections, tous les deux ans, apprenant ainsi les principes de la démocratie.
Le parlement des enfants du Rajasthan s’est avéré plus efficace que prévu et a significativement amélioré le sort des enfants dans la région. Bunker Roy raconte que lorsque ce parlement reçu un prix en Suède, la première ministre, une fillette de 13 ans, rencontra la Reine de Suède. Celle-ci fut impressionnée par l’aplomb et le calme que la villageoise manifestait au milieu d’une assemblée de dignitaires adultes et lui demanda : « Comment se fait-il que tu as tant d’assurance ? » Ce à quoi la jeune paysanne répondit : « Je suis Premier Ministre, votre majesté. »
Le Barefoot College et notre association Karuna-Shechen collaborent activement en Inde et au Népal pour des projets d’électrification solaire et de collecte d’eau de pluie.