Le bouddhisme considère qu’il existe six, sept, voire huit aspects de la conscience. Le premier est la conscience de base, qui a une connaissance globale, générale, du monde et qui sait que j’existe. Puis, il y a cinq aspects de la conscience associés aux cinq expériences sensorielles : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher. Le septième niveau est la conscience mentale qui assigne des concepts abstraits aux six premiers aspects. La philosophie bouddhiste considère parfois une huitième instance de la conscience liée aux états mentaux conflictuels qui altèrent la réalité (tels la haine, la cupidité, etc.). Ces huit aspects de la conscience sont sous-tendus par ce que l’on appelle le continuum lumineux de la conscience fondamentale.
Selon le bouddhisme, la dualité matière-conscience, ou encore le prétendu problème corps-esprit, est un faux débat, étant donné qu’aucun des deux n’est doté d’une existence indépendante et intrinsèque. La nature fondamentale des phénomènes transcende les notions de sujet et d’objet, de temps et d’espace. Or, quand le monde des phénomènes se manifeste à partir de la nature primordiale, nous perdons de vue l’unité première de la conscience et du monde, et nous introduisons une fausse distinction. Le clivage entre le soi et le non-soi s’instaure, et le monde de l’ignorance, ou samsara, advient. La naissance du samsara ne s’est pas produite à un moment donné dans le temps. Le samsara est, à chaque instant et à chacune de nos pensées, le reflet de la réification du monde opérée par l’ignorance.
La conception bouddhiste diffère donc radicalement du dualisme cartésien, qui postule, d’une part, l’existence d’une réalité matérielle, solide et réellement existante et, d’autre part, une conscience totalement immatérielle qui ne peut pas entretenir de lien véritable avec la matière. L’analyse bouddhiste des phénomènes reconnaît l’absence de réalité intrinsèque de tous les phénomènes. Qu’ils soient animés ou inanimés, ils sont tout autant dénués d’existence autonome et ultime. Il n’existe donc qu’une simple distinction d’ordre conventionnel entre la matière et la conscience.
Étant donné que le bouddhisme réfute la réalité ultime des phénomènes, il réfute également l’idée que la conscience est une entité indépendante, dotée d’une existence inhérente. Ce niveau fondamental de la conscience et le monde des phénomènes apparents sont liés par l’interdépendance, tous deux constituant le monde dont nous faisons l’expérience. Le dualisme est absent du concept d’interdépendance ; il postule une séparation nette entre l’esprit et la matière. Le bouddhisme affirme que la vacuité est la forme et que la forme est la vacuité. Par conséquent, la dichotomie entre monde « matériel » et « immatériel » n’a pas de sens.
En d’autres termes, le bouddhisme affirme que la distinction entre le monde intérieur de la pensée et la réalité physique extérieure n’est qu’une simple illusion. Il n’y a qu’une seule réalité, ou plus exactement, il n’y a qu’une seule absence de réalité intrinsèque ! Le bouddhisme n’adopte pas pour autant un point de vue purement idéaliste, pas plus qu’il ne prétend que le monde extérieur est une construction de la conscience. Il insiste sur le fait qu’en l’absence de conscience, il est impossible d’affirmer que le monde existe, parce qu’une telle affirmation implique la présence d’une conscience.
Cette conception de la conscience et du monde phénoménal peut paraître déroutante, mais elle s’apparente à la réponse que donnent certains astrophysiciens quand on leur demande ce qu’il y avait avant le Big Bang. Ils répondent que cette question n’a pas de sens parce que le temps et l’espace ont commencé avec le Big Bang. De même, tout ce que l’on peut dire sur le monde, le cerveau et la conscience elle-même est indissociable de la conscience. Tout présuppose la conscience, même une question telle que : « Un monde totalement privé de vie et d’êtres sensibles pourrait-il exister de lui-même ? », ainsi que toutes les réponses que l’on pourrait formuler. Il serait bien sûr absurde de nier l’existence de mondes inanimés, puisque la plupart des planètes sont des planètes mortes. Néanmoins, sans conscience, il n’y a ni question ni réponse, ni concept ni « monde » en tant qu’objet de l’expérience.
Extrait de : Cerveau et méditation – Dialogue entre le bouddhisme et les neurosciences
, de Matthieu Ricard et Wolf Singer. Éditions Allary – 2017