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S’engager pour une justice et une compassion impartiales envers l’ensemble des êtres sensibles

Ce texte est extrait du dernier ouvrage de Matthieu Ricard intitulé Carnets d’un moine errant, à découvrir ici.

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Lorsque j’eus l’occasion de dialoguer avec Jane Goodall à Brisbane, en Australie, en 2011, je lui demandai si la continuité que l’on remarque entre les différentes espèces animales et les êtres humains ne devrait pas nous amener à réévaluer nos relations à elles. « Bien sûr, me répondit-elle, il n’y a aucun doute qu’il existe une continuité́ de sentiments et d’émotions et qu’en particulier les animaux ressentent de la douleur. Je ne sais pas jusqu’à quel niveau des espèces ce ressenti existe, mais je suis sûre que les insectes éprouvent une forme de douleur, puisqu’ils évitent les stimuli désagréables ou menaçants. Quant aux animaux dotés de cerveaux plus complexes, ils ne ressentent pas uniquement de la douleur, mais aussi de la peur et de la souffrance, aussi bien mentale que physique. » Dans le cadre de sa fondation, le Jane Goodall Institute, la primatologue a lancé le programme Roots and Shoots (« Les racines et les pousses ») : quinze mille groupes de jeunes entreprennent chacun un projet pour le bien des êtres humains, un deuxième pour le bien des autres espèces et un dernier pour la préservation de l’environnement. « La seule manière de sensibiliser les gens sur le long terme, dit-elle, est de travailler avec les jeunes. »

Jane estime que les pratiques de l’industrie de la viande sont particulièrement choquantes, car elles sont validées par les gouvernements et les populations : «Même s’ils ne les approuvent pas consciemment, ils le font en mangeant de la viande. Ce qui me choque le plus, c’est que les gens paraissent presque schizophrènes dès lors que vous évoquez les conditions si horribles qui règnent dans les élevages intensifs, où tant d’animaux ne sont même pas entièrement étourdis avant d’être écorchés vifs ou plongés dans l’eau bouillante. Lorsque je raconte tout ceci aux gens, ils répondent souvent : « Oh, s’il vous plaît, ne m’en parlez pas, je suis trop sensible et j’adore les animaux. » Et je me dis : « Mais qu’est-ce qui a bien pu dérailler dans leur cerveau?! »

Je lui fis également remarquer ce paradoxe des médias audio- visuels : les chaînes diffusent sans sourciller les films d’horreur les plus violents, mais sont réticentes à diffuser ce qui se passe dans nos élevages industriels et nos abattoirs. Ces derniers sont d’ailleurs gardés comme des installations militaires et pour filmer l’horreur qui s’y déroule quotidiennement, il faut filmer en caméra cachée, comme le fait L214, avec toutes les difficultés inhérentes. Jane me confia une idée à ce propos : «Je pense aux enfants. On pourrait réaliser un film où l’on montre un enfant adorable en compagnie d’un poulet, ou d’une poule sauvée d’un élevage industriel, à qui on a coupé le bec. Dans la première scène, la poule joue dans l’herbe avec cet enfant tout mignon. Et il pose la question : “ Pourquoi son bec est-il ainsi ? ” Puis, flash-back — on voit le bec sectionné dans la batterie — on revient rapidement à la scène paisible afin de ne pas trop choquer les sensibilités. Puis on pose une autre question et à nouveau un flash-back : la poule perd toutes ses plumes parce qu’elle est confinée dans cet horrible petit espace. Je n’ai encore trouvé personne pour réaliser ce film, mais j’y arriverai ! »

Mais il y a bien sûr de bonnes nouvelles. Depuis une trentaine d’années, la mobilisation en faveur des animaux n’a cessé de croître. Elle n’est pas l’œuvre de quelques « animalistes » forcenés, mais de personnes sensées dont l’empathie et la compassion se sont tournées vers les animaux. Il devient de plus en plus difficile de faire semblant d’ignorer le rapport entre les souffrances du veau et la côtelette dans son assiette. La sympathie à l’égard de la protection des autres espèces ne cesse de croitre dans l’opinion publique.

Il y a maintenant autant de végétariens et de véganes en France (entre 1 et 2 millions) que de chasseurs (environ 1,2 million), et le nombre de ces derniers diminue chaque année, en France et dans le monde.

Un nombre croissant d’entre nous ne se contente plus d’une éthique restreinte au comportement de l’homme envers ses semblables et estime que la bienveillance envers tous les êtres n’est pas une option facultative, mais une composante essentielle d’une démarche. Il nous incombe à tous de continuer à favoriser l’avènement d’une justice et d’une compassion impartiales envers l’ensemble des êtres sensibles. La bonté n’est pas une obligation : elle est la plus noble expression de la nature humaine.


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Dans le cadre d’une communication spéciale, Matthieu Ricard et Karuna-Shechen proposent chaque semaine de mettre l’altruisme au cœur du débat. Nous vous invitons à revoir la table-ronde “S’engager pour les animaux” avec Matthieu Ricard, Hugo Clément et Brigitte Gothière, fondatrice de l’association L214. Pour visionner, cliquez ici.