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Lettre au Pape François

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Lettre écrite à la requête d’Emmanuel Tagnard, journaliste de la Radio Télévision Suisse, spécialiste des questions religieuses. Cette lettre fait partie d’une série de 17 lettres qu’Emmanuel a imaginé envoyer au Pape à chacune des étapes de son voyage qu’il a fait à pied entre la Suisse et Rome et qu’il a réunies dans un livre, « Très Saint Père : Lettres ouvertes au pape François » (Salvator, Paris, 2018).

Votre Sainteté,

Je ne suis qu’un humble moine bouddhiste et ne possède pas la moindre des qualités qui justifieraient que vous preniez quelques instants de votre temps éminemment précieux pour lire cette lettre. C’est donc un hommage que je vous offre, à la manière d’une fleur envoyée depuis les prairies de l’Himalaya où je réside habituellement.

Je rends hommage, en effet, à la détermination et à la persévérance avec lesquelles vous soutenez ceux qui, dans ce monde, sont les plus démunis, les plus négligés, les plus méprisés et les plus persécutés.

Je rends hommage également à vos appels réitérés pour que cessent les conflits absurdes qui entraînent la mort inutile de tant d’êtres humains.

Comme vous le soulignez souvent, et comme l’avait aussi dit le bouddha, « Si la haine répond à la haine, la haine ne cessera jamais ». Comment pourrait-il y avoir une guerre juste ? Comment pourrait-il y avoir une guerre sainte ? C’est à la guerre elle-même que nous devons déclarer la guerre. Il nous faut, comme vous nous le rappelez souvent, engendrer en nous la détermination inébranlable de résoudre les conflits par le dialogue, non par faiblesse mais parce que c’est la seule manière d’établir une paix véritable. Le désarmement extérieur doit commencer par un désarmement intérieur, la paix extérieure par une paix intérieure.

Trop souvent, de nos jours, les religions sont utilisées comme des drapeaux de ralliement pour diviser des peuples. Il importe que nous reconnaissions qu’en dépit de nos différences théologiques et philosophiques, toutes les religions du monde ont prêché à l’origine un message d’amour. Aucun prophète, aucun saint, aucun sage n’a commencé par prêcher la haine du prochain.

Le XIVe Dalaï-lama du Tibet suggère quatre manières de faciliter l’harmonie entre les grandes religions du monde :

– Faire en sorte que les théologiens et les représentants qualifiés de ces religions se rencontrent pour acquérir une meilleure connaissance des points fondamentaux des autres religions, afin d’éviter d’en avoir une perception déformée.

– Encourager les contemplatifs, eux aussi, à se rencontrer et échanger sur ce qui constitue l’essence de leurs pratiques, découvrant ainsi ce qui les unit au plus intime de leur chemin spirituel.

– Inspirer les représentants des grandes religions à faire ensemble des pèlerinages dans les lieux saints de chacun, des lieux où l’on se rend pour devenir meilleur, pour aller au cœur de sa religion, en laissant derrière soi tout sentiment négatif qui pourrait habiter l’esprit.

– Rassembler régulièrement les patriarches des grandes religions du monde, comme ce fut le cas à Assise en 1986 à l’invitation du Pape Jean Paul II, non seulement pour prier ensemble, mais pour qu’ils puissent mieux se connaître, s’apprécier et se respecter mutuellement, afin de pouvoir par la suite se concerter lorsque des difficultés et des conflits surviennent sur la base de divisions religieuses.

Permettez-moi donc de conclure cette humble missive en vous souhaitant une longue vie de sorte que vous continuiez longtemps à mettre l’amour et la compassion au service de ceux qui en ont le plus besoin en ce monde.

Très respectueusement,
Matthieu Ricard