Une erreur courante consiste à confondre plaisir et bonheur. Le plaisir, dit le proverbe hindou, « n’est que l’ombre du bonheur ». Il est directement causé par des stimuli agréables d’ordre sensoriel, esthétique ou intellectuel. L’expérience évanescente du plaisir, l’hédonisme, dépend des circonstances, des lieux ainsi que de moments privilégiés. Sa nature est instable et la sensation qu’il inspire devient vite neutre voire désagréable. De même, sa répétition conduit souvent à son affadissement, voire au dégoût. « Entrer dans cette pâtisserie, écrit Albert Cohen, et manger des gâteaux ? Non, ce bonheur ne durait pas, il finissait dès qu’on avait fini les gâteaux. Il faudrait pouvoir manger des gâteaux tout le temps, manger à en mourir » Sans aller jusqu’à la mort, dix gâteaux plus tard, la nausée est au rendez-vous.
Le plaisir s’épuise à mesure qu’on en jouit, comme une chandelle qui se consume. Il est presque toujours lié à une action et entraîne la lassitude, par le simple fait de sa répétition. Écouter avec ravissement un prélude de Bach nécessite un effort d’attention qui, si minime soit-il, ne peut être maintenu éternellement. Au bout d’un moment, l’écoute perd de son charme. Imposée des journées durant, elle deviendrait une torture.
Par ailleurs, le plaisir est une expérience individuelle, l’hédonisme est essentiellement centré sur soi, raison pour laquelle il peut facilement être associé aux travers de l’égocentrisme et entrer en conflit avec le bien-être des autres. On peut éprouver du plaisir au détriment d’autrui, mais on ne saurait en retirer du bonheur. L’hédonisme peut se conjuguer avec la méchanceté, la violence, l’orgueil, l’avidité et d’autres états mentaux incompatibles avec un bonheur véritable. « Le plaisir est le bonheur des fous, le bonheur est le plaisir des sages », écrivait Barbey d’Aurevilly.
Certains prennent plaisir à se venger, à torturer d’autres êtres humains, à se réjouir de la ruine d’un concurrent. Un cambrioleur jubile en contemplant le magot et le spectateur d’une corrida s’enflamme en assistant à la mise à mort d’un taureau. Ces plaisirs, ces états d’exaltation passagère, parfois morbide, tout comme les moments d’euphorie positive, n’ont pas grand-chose à voir avec le bonheur envisagé comme une manière d’être.
La recherche des plaisirs peut aller de pair avec l’obsession, l’avidité, l’inquiétude et, finalement, le désenchantement. Le plus souvent, le plaisir ne remplit pas ses promesses, comme l’exprime le poète écossais Robert Burns :
Les plaisirs ressemblent à des coquelicots,
À peine saisis, déjà détruits ;
À des flocons de neige tombant sur une rivière,
Éclairs blancs à jamais évanouis.
Et pourtant, nous préférons bien souvent le plaisir et ses séquelles de satiété à la gratification d’un bien-être durable.
À l’inverse du plaisir, le bonheur, ou plus précisément le « bien-être » naît de l’intérieur. S’il peut être influencé par les circonstances, il n’y est pas soumis. Loin de se transformer en son contraire, il perdure et croît à mesure qu’on l’éprouve. Il engendre un sentiment de plénitude qui, avec le temps, devient un trait fondamental de notre tempérament.