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Droits et aspirations

Le président du comité décernant le prix Nobel de la paix, Thorbjorn Jagland a affirmé: «des hommes tels que Liu Xiaobo ne sont pas des dissidents, ils incarnent les normes et des valeurs universelles». En évoquant les rares lauréats du Nobel auxquels un gouvernement autocratique interdit d’aller chercher leur prix et en montrant du doigt la place vide de Liu Xiaobo, il a ajouté : « Cet état de fait à lui seul donne à penser que le prix Nobel était nécessaire et légitime. » Jagland a fortement insisté aussi sur les liens entre démocratie et droits de l’homme.

On peut se demander pourquoi la notion de « droits de l’homme » et sa signification continuent à susciter tant de controverses. Les opposants sont d’un côté les démocraties occidentales centrées sur le primat de droits inaliénables de l’individu, et de l’autre certaines cultures orientales qui privilégient des valeurs collectives, celles d’un groupe (la famille ou la communauté villageoise), ou celles d’un état (l’ordre public tel que défini par une forme particulière de gouvernement). Ces différences font surgir d’innombrables dissensions, chaque partie étant soupçonnée de vouloir imposer son point de vue à l’autre. Alors l’individu est-il une valeur sacrée ou est-ce le souci du bien commun qui doit l’emporter ? A moins qu’il ne faille rechercher le dénominateur commun des deux principes…

Ne serait-il pas possible en effet de simplifier ces controverses en prenant en considération les objectifs communs vers lesquels tendent ces différentes perspectives ?

Fondamentalement personne ne veut souffrir et tout le monde aspire à une amélioration de son bien-être. Aussi les moyens ne devraient-ils pas nous faire oublier la fin. La véritable question est celle de la bonne foi de ceux qui privilégient une forme ou une autre de « droits ». Se préoccupent-ils réellement de l’intérêt d’un nombre plus petit ou plus grand de personnes ?  A court terme ou à long terme ?

Ce qui peut fausser l’une ou l’autre version des « droits de l’homme » est le biais introduit dans l’équation par l’égoïsme.  Ce qu’on appelle les « droits de l’individu » conduit bientôt au triomphe d’un égocentrisme qui méconnaît cette réalité que nous sommes tous dépendants les uns des autres. A l’inverse l’option du « bien-être collectif » mène rapidement à l’oppression des masses par une élite détentrice de l’autorité, imposant à chacun son mode de vie, le plus souvent pour pouvoir continuer à le contrôler.

Ce qu’on oublie ainsi de part et d’autre ce n’est rien moins que les aspirations de chacun des membres de la société : éviter la souffrance et connaître le bonheur. Aussi plutôt que d’utiliser le terme dogmatique de « droits », il conviendrait peut-être de privilégier la notion d’« aspirations » de chaque individu et de l’ensemble de la collectivité visant à éviter la souffrance et l’oppression, et à s’épanouir dans la vie. Reconnaître et comprendre ces aspirations conduit à respecter le bien-être d’autrui et à se sentir concerné par sa situation. Un tel respect pourra plus sûrement faire naître une authentique satisfaction tant au niveau de l’individu qu’à celui de la société. Ce respect conduit également à la notion de « devoirs » ou plus exactement de « responsabilité » qui nous devrions ressentir vis-à-vis d’autrui. La « responsabilité universelle » dont parle souvent le Dalaï-lama, n’est qu’une autre manière d’exprimer le principe de l’interdépendance de tous les êtres et de toute chose.