Notre époque est confrontée à de nombreux désastres socio-économiques et écologiques. Johan Rockström, codirecteur de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur l’impact climatique, définit la crise environnementale comme une urgence de premier plan dans le sens où l’enjeu est extrêmement important et le temps pour agir est limité.
Nous sommes, pour la plupart, préoccupés et conscients de ces bouleversements écologiques provoqués par les activités humaines qui entraînent actuellement la sixième extinction de masse des espèces depuis l’apparition de la vie sur Terre. Les solutions existent. Il nous reste encore quelques années pour prendre des mesures draconiennes et décisives.
Face au manque de volonté et d’engagement de la part du politique, que pouvons-nous faire pour initier et contribuer au changement afin d’éviter l’émergence de nombreux troubles et souffrances ?
Matthieu Ricard propose quelques clés de compréhension au sujet de la crise climatique:
Pour sortir de l’ornière des recommandations sans effet, il est tout d’abord indispensable de prendre la pleine mesure des alertes lancées par les scientifiques et de suivre les courants d’idées qui promeuvent l’altruisme et le bien-être véritable en tant qu’authentiques guides dans nos prises de décisions. Il ne s’agit pas simplement de survivre, mais de vivre mieux avec moins, en harmonie avec notre écosystème. S’informer permet de mieux appréhender l’importance du vivant et la nécessité de sa protection. Face aux menaces écologiques, énergétiques et économiques, il est primordial d’agir en considération des autres espèces, des générations futures, de l’environnement.
Une action simple et efficace que nous pouvons tous mener à notre échelle est de ne plus consommer de produits animaux. L’élevage industriel notamment est un désastre tant pour l’environnement, que pour la santé et l’accroissement de la pauvreté dans le monde. Tous les deux mois le même nombre d’animaux qu’il y a eu d’Homo sapiens sur terre depuis son origine sont abattus (environ 110 milliards). Jane Goodall, grande primatologue, me confia lors d’une de nos conversations : « Ce qui me choque le plus, c’est que les gens paraissent presque schizophrènes dès lors que vous évoquez les conditions terribles qui règnent dans les élevages intensifs, l’entassement cruel d’êtres sensibles dans des espaces minuscules — des conditions tellement horribles que l’on est obligé de leur administrer sans cesse des antibiotiques pour les garder en vie, sinon ils se laisseraient mourir. Je décris souvent le cauchemar du transport – s’ils tombent pendant le transport, on les hisse par une jambe, qui se casse — et des abattoirs où tant d’animaux ne sont même pas étourdis avant d’être écorchés vifs ou plongés dans l’eau bouillante. C’est évidemment atrocement douloureux. Lorsque je raconte tout ceci aux gens, ils répondent souvent : “Oh, s’il vous plaît, ne m’en parlez pas, je suis trop sensible et j’adore les animaux.” Et je me dis : “Mais qu’est-ce qui a bien pu dérailler dans ce cerveau ?!”».
À l’aspect intrinsèquement éthique de ne pas consommer de viande, s’ajoutent des considérations morales et environnementales déterminantes. De nombreux rapports scientifiques des Nations unies (GIEC et FAO), de l’Institut Worldwatch et d’autres encore, alertent sur les graves impacts environnementaux de la production industrielle d’animaux. L’élevage intensif, la production de viande et d’autres produits dérivés de l’élevage (laine, œufs et produits laitiers) sont, quantitativement, la deuxième cause de pollution dans le monde. Au total, l’élevage industriel contribue à 14,5%1 des émissions de gaz à effet de serre liées aux activités humaines, après le secteur du bâtiment et avant celui du transport.
Ne plus consommer de produits issus de l’élevage intensif est un engagement immédiat, très concret et efficace de bienveillance envers les animaux, mais aussi d’action pour la préservation de l’environnement que nous pouvons tous mener. Selon un rapport du GIEC, ce facteur à lui seul permettrait de rester en dessous du 2°C de réchauffement climatique.
La bienveillance comme considération authentique du sort d’autrui est le seul concept de reliance qui puisse nous permettre d’œuvrer ensemble de manière effective, éthique et durable à un monde meilleur. Un état d’être altruiste rend possible à court terme de remédier aux inégalités et injustices sociales, à moyen terme de favoriser le bien-être de la population, à long terme de prendre en compte sérieusement le sort des générations à venir et des 8 millions d’autres espèces qui sont nos concitoyens.
Une autre action efficace que nous pouvons tous mener est de cultiver au quotidien notre qualité naturelle de compassion. Respecter et prendre soin de l’environnement naturel et des êtres vivants dans leur ensemble est une véritable source d’espoir dans l’intention de prendre conscience de notre interdépendance et de restaurer la confiance dans la nature humaine. Raviver notre émerveillement devant la part sauvage du monde à lui seul ne règlera pas la crise écologique, mais il est inhérent au processus de prise de conscience nécessaire à la protection du vivant. La beauté du monde chaque jour renouvelée, que ce soit dans le sourire d’un enfant, d’un paysage grandiose ou encore dans l’expérience immédiate d’un flocon qui se pose dans la paume de notre main, est un bien précieux que nous voulons préserver. L’émerveillement mène au respect. Le respect conduit au désir de prendre soin. Et ce désir à l’action directe et durable.
Les gouvernants annoncent souvent des mesures à long terme pour atteindre la neutralité carbone, mais faute de mesures et d’engagements forts à court terme, ils se contentent d’éviter le problème et de remettre au gouvernement suivant la responsabilité de prendre les mesures nécessaires. Winston Churchill disait qu’ « un homme d’État pense aux prochaines générations, un homme politique aux prochaines élections. » Il est temps que les politiciens fassent preuve d’un minimum de courage pour ne pas être considérés comme des traîtres par les générations à venir.
Karuna-Shechen
Karuna, l’association fondée par Matthieu Ricard, propose des solutions concrètes aux populations qu’elle soutient en Inde et au Népal, afin qu’elles s’adaptent au mieux aux défis climatiques. Avec des projets environnementaux, entrepreneuriaux et éducatifs, Karuna favorisant l’accès à l’eau, à l’électricité solaire ou même à l’agriculture biologique. Pour en savoir plus, cliquez ici.
Pour aller plus loin
- Ricard Matthieu. Plaidoyer pour l’altruisme
, Pocket, 2014. - Ricard Matthieu. Plaidoyer pour les animaux
, Pocket, 2015. - André Christophe, Kabat-Zinn Jon, Kostou Ilios, Lesire Caroline, Rabhi Pierre, Ricard Matthieu. Se changer, changer le monde: Des solutions concrètes pour mieux vivre ensemble
, J’ai lu, 2015. - Ricard Matthieu. Carnet d’un moine errant
, Allary Édition Illustrée, 2021.
1 Ce chiffre est issu du rapport sur les émissions de gaz à effet de serre liées à l’élevage de la FAO dans Tackling Climate Change Through Livestock, FAO, octobre 2013. Les bovins contribuent aux deux tiers de ces émissions. Le chiffre de 14,5 % est calculé sur la base d’une analyse qui inclut le cycle de vie complet du processus, c’est-à-dire qu’il comprend les émissions de CO2 associées à la déforestation liée à l’élevage, la production et le conditionnement de la nourriture pour les animaux d’élevage, etc. Il est particulièrement important de considérer l’intégralité́ du cycle de vie parce que les émissions indirectes provenant du bétail constituent une proportion significative des émissions.