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Comment l’altruisme peut sauver la planète – Partie 2

En juillet, Matthieu Ricard et Mark Tercek, président et secrétaire de direction de Nature Conservancy ; également auteur de Nature’s Fortune: How Business and Society Thrive by Investing in Nature
, ont entamé un dialogue de questions et de réponses à propos des bénéfices de l’altruisme et des enjeux environnementaux.

Partie 2

Mark Tercek : J’admire l’accent mis sur la science sans non-sens dans votre livre « Plaidoyer pour l’altruisme »
. Vous déclarez que la science dit clairement que nous pouvons entraîner nos esprits pour être meilleurs et plus attentionnés. Pouvez-vous en dire plus à ce propos ?

Matthieu Ricard : Pendant longtemps la psychologie, mais aussi l’économie et l’évolution ont cru que l’homme était essentiellement égoïste. Mais au cours des 30 dernières années, les nouvelles découvertes scientifiques ont démontré que l’altruisme véritable existait et pouvait s’appliquer au-delà de nos proches vers nos semblables humains et aussi non humains.
La collaboration entre les neuroscientifiques et les contemplatifs a montré que l’altruisme et la compassion étaient des qualités pouvant être cultivées avec de l’entraînement. La recherche a prouvé sans ambiguïté que la pratique de l’altruisme et de la compassion apportait des changements fonctionnels et structurels dans notre cerveau et pouvait même changer l’expression de nos gènes. Ces études ont aussi permis de faire la différence entre l’empathie (la faculté d’entrer en résonnance affective avec l’autre), l’altruisme (le souhait que l’autre soit heureux) et la compassion (le souhait que l’autre soit libérés de ses souffrances).
Même si la compétition est en général plus visible et plus spectaculaire que la coopération, de récents travaux ont démontré que la coopération avait joué un rôle bien plus important au cours de l’évolution pour créer des niveaux croissants de compléxité et d’organisation. Il semble qu’aujourd’hui nous ayons besoin d’avancer au degré supérieur de coopération afin de faire face aux nombreux défis de notre époque.

Mark Tercek : Je crois que les écologistes peuvent accomplir plus de choses en luttant et en discutant moins mais en faisant plus d’efforts pour trouver des terrains communs, et aussi en allant vers plus de collaboration et de coopération – même si certaines des parties prenantes sont considérées comme les méchants. Pourtant les critiques pensent que tout cela est naïf. Qu’en pensez-vous ?

Matthieu Ricard : Il est certes plus constructif de convaincre les gens en faisant ressortir le meilleur d’eux-mêmes. On y arrive généralement en les rencontrant en personne à chaque fois que cela est possible. Souvenez-vous de ces paroles de Nelson Mandela qui sont propres à inspirer toute personne souhaitant servir une cause environnementale ou politique :
« J’ai toujours su qu’au plus profond de chaque être humain, il y avait la compassion et la générosité… Les gens doivent apprendre à haïr, et s’ils peuvent apprendre à haïr, on peut aussi leur enseigner l’amour, car l’amour vient plus naturellement à un cœur humain que son opposé… La bonté est une flamme qui peut être cachée mais jamais éteinte. »
Ce ne sont pas les mots d’un utopiste rêveur mais de quelqu’un qui a vaincu l’égoïsme institutionnalisé d’opposants qui, à première vue, n’étaient pas enclins à pratiquer l’ouverture et l’altruisme.

Mark Tercek : Comment pouvons-nous augmenter et accélérer nos efforts pour protéger la nature ? Pensez-vous que les pratiques d’entraînement de l’esprit que vous promouvez peuvent se généraliser suffisamment pour changer vraiment le monde ?

Matthieu Ricard : Oui, faire progresser nos capacités à prendre soin des autres jusqu’à un niveau optimal, et je parle aussi des autres espèces et des générations futures, c’est quelque chose que chacun peut réaliser. Je suis toujours surpris par le fait que personne ne remet en question le besoin de consacrer du temps et de faire des efforts pour apprendre à lire et à écrire, ou bien pour jouer d’un instrument de musique, pour s’entraîner à n’importe quel sport ou pour acquérir une compétence professionnelle. Pourquoi alors devrions-nous supposer que des qualités humaines fondamentales comme la bienveillance, l’attention et l’équilibre émotionnel devraient se développer pleinement sans que nous y consacrions aucun effort ?
Le plus important n’est pas nécessairement de propager la méditation en tant que telle mais de permettre aux gens de réaliser que quoi qu’ils fassent dans la vie, le fait de développer pleinement leurs qualités humaines les plus constructives et les plus saines leur apporterait un immense bénéfice.
Ainsi une fois que le nombre de gens cultivant leurs qualités altruistes et coopératives aura atteint une masse critique, il pourra se produire un point de basculement dans la culture dominante. L’interaction entre le changement individuel et le changement sociétal est au cœur de l’évolution de la culture.

Mark Tercek : Comment pouvons-nous interagir avec les gens de bonne volonté mais qui ne sont pas très à l’aise avec la méditation et d’autres pratiques spirituelles ?

Matthieu Ricard : Il n’est pas nécessaire d’utiliser des termes tels que méditation et spiritualité qui peuvent heurter quelque peu un certain nombre de gens qui pourraient bénéficier de ces pratiques. Il est plus opportun de dire qu’il s’agit d’entraîner son esprit et de cultiver ses qualités humaines de base. On peut y arriver en suivant un chemin spirituel mais aussi par des moyens laïques. Qui pourrait se déclarer contre le fait d’augmenter notre compassion et notre conscience attentionnée ?

Mark Tercek : Vous semblez toujours heureux, de bonne humeur et prêt à profiter d’un éclat de rire. Quel est votre secret ?

Matthieu Ricard : Il n’y a pas de secret. C’est très simple : altruisme et compassion. J’ai encore beaucoup de chemin à faire pour les amener à leur niveau optimal, mais j’essaie sincèrement de devenir un meilleur être humain jour après jour ; « Transforme-toi toi-même pour transformer le monde et mieux servir les autres ».

Kham 2012 Mr 1909 Pano