Matthieu : Les abattoirs semblent aussi être gardés comme des installations militaires top-secrètes. On ne peut rien voir. Mais si on pouvait montrer même un tout petit peu de ce qui se passe aux gens, ils trouveraient cela intolérable.
Jane : Il y a une femme merveilleuse en Amérique. Elle a trouvé un travail dans un abattoir et réussi à filmer secrètement ce qu’il s’y passait. Mais les chaînes de télévision a refusé de le montrer.
Matthieu : La télévision diffuse des films d’horreur, mais si vous voulez montrer ne serait-ce qu’un peu de ce qui se passe dans ces élevages et abattoirs industriels, personne ne veut ni le diffuser ni le regarder — je suppose parce que cela souligne notre complicité. Ce sont des chambres de torture qui opèrent sans cesse. Comment pouvons-nous raviver nos valeurs humaines et sensibiliser davantage les gens à la souffrance que nous créons ?
Jane : C’est ce que nous faisons avec « Roots and Shoots » (« les Racines et les pousses »), un programme que je réalise visant à engager et valoriser les jeunes par le service. Nous ne disons pas aux jeunes ce qu’ils doivent faire. Ils se réunissent, bavardent et choisissent trois projets: aider les gens, aider l’environnement, et aider les autres animaux — y compris les animaux domestiques. J’inclus ces sujets dans toutes mes conversations, et ils commencent à réfléchir et à apprendre, et à être absolument horrifiés par ce qu’ils découvrent. Il s’ensuit qu’ils ne toléreront pas ces conditions devenus adultes. La seule manière de sensibiliser les gens sur le long terme est de travailler sur les jeunes. Je participe aussi des réunions avec des sénateurs et députés. Il faut les toucher au cœur, car chez eux, tout passe par la tête.
Matthieu : Si nous pouvions montrer des images montrant la réalité de ce qu’il se passe, comme dans le documentaire Earthlings, les gens en prendraient conscience.
Jane : J’ai eu une idée à ce propos. Si vous arrivez à diffuser un film à la télévision qui montre l’horreur de ce qu’il se passe, les gens éteignent leur poste. Ils ne veulent pas regarder. Ils disent: « J’aime les animaux, je ne peux pas voir ça ». Ils se braquent. Maintenant, je pense aux enfants. On pourrait réaliser un film où l’on montre un enfant adorable en compagnie d’un poulet, ou d’une poule sauvée d’un élevage industriel, à qui on a coupé le bec. Dans la jolie première scène, la poule joue dans l’herbe avec cet enfant tout mignon. Et il pose la question : « Pourquoi son bec est-il ainsi ? » Puis il y a un flashback — on voit le bec en train d’être sectionné dans la batterie — puis on revient rapidement à la scène paisible afin de ne pas trop choquer les sensibilités. Il faut qu’il y ait une histoire Ensuite on pose une autre question et on voit un flashback où la poule perd toutes ses plumes parce qu’elle est confinée dans cet horrible petit espace. Je n’ai encore trouvé personne pour réaliser ce film, mais j’y arriverai.
Matthieu : Vous vous souvenez sans doute qu’après la sortie du film Babe, qui raconte l’histoire d’un jeune cochon mignon et intelligent, de nombreux enfants qui l’avaient vu ne voulaient plus manger de viande.
Jane: Et puis s’est passé.
Matthieu : En réalité, de nombreux enfants ne souhaitent pas manger de la viande, mais leurs parents les y forcent, ils leur disent que c’est bon pour la santé.
Jane : Lorsqu’il avait cinq ans, le petit-fils de ma sœur a appris d’où venait le poulet et il a dit : « Je ne veux plus manger de poulet ». Ce fut son dernier poulet. Puis il est allé dans un aquarium et s’est promené et a déclaré : « Je ne vais plus manger de jolis poissons. » Puis sa mère l’a emmené dans une autre partie de l’aquarium, où se trouvaient les poissons moins chamarrés. Il les a observés un très long moment et il a finalement dit : « Tu sais, je ne vais plus manger aucun poisson. » Et il n’a que sept ans !
Matthieu : Cela me rappelle Kafka qui, après avoir renoncé à manger des animaux, dit en observant les poissons dans un aquarium : « Maintenant je peux vous regarder en paix, je ne vous mange plus. »