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« Pourquoi n’y a-t-il aucune femme dans votre groupe ? »

Extrait du livre de Matthieu Ricard, Plaidoyer pour l’altruisme, NiL Éditions.

En dépit des progrès qui restent à accomplir, les pays occidentaux s’orientent vers un respect et une reconnaissance accrue du rôle de la femme dans la société. À quelques rares exceptions près, la guerre est planifiée, décidée et perpétrée par des hommes, et 99,9 % des soldats qui prennent part aux combats sont aussi des hommes (même dans les pays comme Israël qui recrutent un grand nombre de femmes, celles-ci sont rarement sur les lignes de front). Les hommes sont par ailleurs les plus intransigeants lors de négociations. Swanee Hunt, ancienne ambassadrice américaine et militante contre l’exploitation des femmes dans le monde, nous raconta qu’elle avait un jour rencontré un groupe d’officiels africains engagés dans des négociations de paix qui semblaient bloquées par l’inflexibilité des deux parties en présence. Ayant remarqué que les deux délégations étaient composées exclusivement d’hommes, Hunt demanda: « Pourquoi n’y a-t-il aucune femme dans votre groupe ? » On lui répondit : « Parce qu’elles feraient des concessions. » Swanee Hunt se souvient d’avoir pensé à ce moment-là : « Eurêka ! Voilà pourquoi cette négociation, comme tant d’autres, n’aboutit pas ! » En effet, comment trouver une solution acceptable par les divers protagonistes sans faire des concessions mutuelles ?

Un ensemble d’études ethnographiques montre que toute société qui traite mieux les femmes est moins favorable à la guerre. Au Moyen-Orient notamment, un sondage a révélé que les personnes les plus favorables à l’égalité de la condition des hommes et des femmes étaient aussi les plus favorables à une résolution non violente du conflit israélo-arabe. Steven Pinker en conclut que : 

L’étude de la biologie et de l’histoire conduit à penser que, toutes choses égales par ailleurs, un monde dans lequel les femmes jouiraient de plus d’influence serait un monde dans lequel il y aurait moins de guerres.

Tsutomu Yamaguchi, un survivant des deux attaques nucléaires d’Hiroshima et de Nagasaki (où il s’enfuit après l’explosion d’Hiroshima, croyant y trouver refuge) formula cet ultime conseil avant de mourir à quatre-vingt-treize ans : « Les seules personnes qui devraient être autorisées à gouverner un pays doté de l’arme nucléaire devraient être des mères – celles qui allaitent encore leur bébé. » Les femmes et les enfants sont les premières victimes des guerres, et plus elles auront voix au chapitre dans la société, moins les risques de conflits seront élevés. Il ne s’agit d’ailleurs pas simplement de donner davantage de pouvoir aux femmes, mais également de s’éloigner des modèles culturels qui célèbrent la force virile, glorifient la guerre et font l’apologie de la violence comme moyen rapide et efficace de résoudre les problèmes. Dans Sex and War, le biologiste Malcom Potts et ses coauteurs estiment que donner aux femmes les pleins pouvoirs sur leur reproduction (en leur laissant libre accès à la contraception et au choix de leur conjoint) est un facteur crucial pour combattre la violence. Refuser que les femmes ne soient traitées que comme des êtres voués à la reproduction est le meilleur moyen d’éviter qu’une part démesurée de la population soit constituée d’hommes jeunes, qui se retrouvent souvent sans
emploi et marginalisés. Il est démontré que, dans les sociétés qui accordent davantage d’autonomie aux femmes, on observe moins de bandes de jeunes hommes déracinés qui deviennent des fauteurs de troubles.

Desmond Tutu, l’activiste gandhienne Ela Bhatt, l’ancien président Jimmy Carter, et les autres membres du Groupe des sages (les Global Elders) ont lancé le mouvement « Filles, pas épouses ». L’archevêque Desmond Tutu, en particulier, milite avec passion contre le mariage des filles dès l’enfance ou à l’âge de la puberté, phénomène encore très répandu en Afrique et en Asie (chaque jour, 25 000 filles sont mariées trop jeunes sans leur consentement). Une adolescente de moins de quinze ans a cinq fois plus de risques de mourir en couches qu’une jeune femme d’une vingtaine d’années. Ce fléau est de nature à empêcher la réalisation de six des huit Objectifs du millénaire pour le développement poursuivis par les Nations unies : réduire la pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomie des femmes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre le sida, le paludisme et les autres maladies. Seuls deux objectifs, la préservation de l’environnement et la mise en place d’un partenariat mondial pour le développement ne sont pas directement liés au problème du mariage précoce des filles. L’éducation obligatoire des filles pourrait contribuer à contrecarrer cette coutume.

Au Malawi, 42% des filles sont mariées avant l’âge de 18 ans. Dans le monde, c’est 1 fille sur 5, selon l’Unicef. Memory Banda, une jeune femme de 24 ans, a lutté contre la tradition du viol institutionnalisé des jeunes filles dans des camps d’initiation dédiés. Elle a fait cesser cette pratique dans tout le pays, puis a fait modifier la constitution du Malawi pour relever l’âge légal de 15 à 18 ans afin de protéger les filles du mariage forcé. Son engagement est raconté dans le documentaire Bigger Than Us de Flore Vasseur.