Notre époque est confrontée à de nombreux défis et impératifs à court, moyen et long termes auxquels se superposent trois types d’intérêts – les nôtres, ceux de nos proches et ceux de tous les êtres. Une manière de répondre à ces défis pourrait être de créer une société plus coopérante et altruiste qui prennent en compte l’interdépendance de toutes choses et le fait que l’ensemble du collectif est plus que la somme des parties. L’émerveillement, comme prise de conscience de la part sauvage du monde, en serait un des piliers. Cultiver ce rapport d’humilité avec le vivant, d’en prendre conscience, favorise notre disposition à s’y intéresser et par conséquent à s’y dévouer. Le désir de prendre soin de ce qui nous émerveille permettrait de contribuer au changement nécessaire de nos modes de vie et de prendre en considération le sort de toutes les espèces.
Depuis plus d’un demi-siècle, l’humain exploite et consomme excessivement les ressources de la planète1 et a généré une bascule dans une nouvelle ère géologique : de l’Holocène à l’Anthropocène2 . Comme le rappelle l’explorateur et médecin Jean-Louis Étienne, là où les changements d’époque géologique résultaient auparavant des phénomènes naturels, l’homme en est à présent l’acteur principal3 . La puissance d’impact de ses activités sur l’ensemble du système qui maintient la vie sur Terre épuise le stock de « capital naturel » (énergies fossiles, forêts, réserves marines, eau douce…) sans lui laisser le temps nécessaire à sa régénération4 , entraînant actuellement la sixième extinction de masse des espèces.
Lors du Global Positive Forum de 2019, Aurélien Barrau, professeur en astrophysique engagé pour le climat, rappelait qu’avec “un bulldozer qui fonctionne à l’énergie solaire, l’humain peut raser la forêt amazonienne”5. Ce sont nos propres pratiques qui engendrent ces multiples bouleversements, dont le réchauffement climatique résultant des activités humaines est un aspect qui a des répercussions sur l’ensembles des autres composantes. Il est donc possible de changer !
Face au manque de volonté et d’engagement de la part du monde politique, il nous faut nous garder de tomber dans une apathie généralisée, un cynisme résigné où nous aurions tendance à penser que « tout compte fait, l’on verra bien quand ça arrivera ». Comme l’écrit très justement Herbert George Wells : « L’histoire est une course entre l’éducation et la catastrophe.[7] »
Les solutions existent. Il nous reste encore quelques années pour prendre des mesures décisives. Transformer nos activités individuelles et collectives qui affectent l’ensemble de la planète en prenant la pleine mesure des alertes lancées par les scientifiques est indispensable. De même que de suivre les courants d’idées qui promeuvent l’altruisme et le bien-être véritable en tant qu’authentiques guides dans nos prises de décisions.
Renouer avec le vivant en faisant naître en nous le sentiment d’émerveillement est un changement de mentalité important et déterminant au court, moyen et long termes. Il favorise les actions nécessaires à l’émergence d’une nouvelle économie et de nouveaux modes de vie et de consommation, à la fois plus solidaires et plus responsables vis-à-vis de notre planète et des êtres qui y cohabitent.
L’émerveillement devant la nature sauvage à lui seul ne suffira pas à régler la crise écologique, mais il est une prise de conscience nécessaire à l’action efficace. Cultiver cet état d’esprit de reconnaissance et d’humilité est un antidote au consumérisme superflu et mortifère – un espoir de restaurer la confiance dans la nature humaine et de préserver la part sauvage du monde.
En pratique, si chacun d’entre nous cultivait davantage l’aspiration à prendre soin, en ayant par exemple plus de considération pour les espèces animales, nous serions amenés à repenser la manière dont nous les traitons. Au lieu de les réduire à des êtres insensibles et instrumentalisés, nous reconnaîtrions leur conscience et état d’êtres vivants. Concevoir ce souhait de prendre soin permet de mieux prendre en considération notre interdépendance. Le sentiment d’émerveillement mène nécessairement au désir de protéger et donc à agir en ce sens. Cultiver collectivement cette considération du sort d’autrui et du vivant, éviterait le sacrifice aveugle du monde à nos intérêts éphémères, ne laissant à ceux qui viendront après nous qu’une planète polluée et appauvrie.
L’émerveillement en aspiration et en action, est un concept qui permet d’œuvrer ensemble à un monde meilleur en prenant sérieusement en considération le sort des générations à venir et des huit millions d’autres espèces qui sont nos concitoyennes en ce monde.
Johan Rockström, éminent chercheur sur les changements climatiques et environnementaux, me disait récemment: « Nous formons une seule communauté et gagnons à être bienveillants les uns envers les autres. Nous dépendons tous de notre capacité collective à rester en deçà des limites planétaires qui nous permettraient de préserver un espace de sécurité au sein duquel l’humanité pourrait continuer de prospérer. En menaçant la stabilité de la planète, nous menaçons toutes les générations futures. Garder une planète stable est l’expression ultime non seulement de la bienveillance, mais aussi de la justice intergénérationnelle. Nous devons parler du droit de naître sur une planète offrant de bonnes conditions de vie. La bienveillance exige de remettre à nos enfants une planète en bon état. Ce serait la meilleure de nos réussites. »
L’émerveillement mène au respect, le respect mène au désir de prendre soin, prendre soin mène à l’action – étendons collectivement notre engagement personnel au sein d’une responsabilité universelle.
1 Donella Meadows, Dennis Meadows, Jørgen Randers, William W. Behrens, The Limits to Growth, Universe Books, 1972.
2En 2009, le Suédois Johan Rockström et vingt-sept autres scientifiques de renommée internationale introduisaient le concept de « limites planétaires » en neufs grands changements environnementaux. À partir de 1950, Paul Crutzen, prix Nobel de chimie, désigne par « anthropocène » la prédominance de l’influence de l’activité humaine sur le système terrestre. On assiste à ce que les scientifiques appellent «la grande accélération ». Tout augmente : la population, l’utilisation d’engrais et d’eau pour l’agriculture, la surpêche et la pollution des mers, le nombre de véhicules, le méthane qui vient de l’élevage industriel, la diminution de l’ozone. En appauvrissant constamment les sources mêmes qui, depuis les origines, ont constitué la vie, les activités humaines détruisent la nature dans sa structure matérielle. L’ère de l’anthropocène marque le dépassement des « limites planétaires » . La violation des droits des êtres vivants par les activités humaines compromet irrémédiablement la pérennité et la survie des espèces et des générations futures.
3 Jean-Louis Etienne, Inventer sa vie, Points Aventure, 2016.
4Croissance : les dessous du réchauffement climatique, Pour L’éco, 26 décembre 2019. Croissance : les dessous du réchauffement climatique.
5 Aurélien Barrau au Global Positive Forum, 2019, Réveiller, Alerter mais surtout Encourager ! S’engager pour un monde positif – GPF2019. Réveiller, Alerter mais surtout Encourager ! S’engager pour un monde positif – GPF2019.