Un survivant d’Hiroshima disait il y a quelques années que tous les pays devraient être dirigés par une femme ayant de jeunes enfants. L’exemple de Jacinda Ardern, première ministre de Nouvelle-Zélande, qui donna de magnifiques exemples d’altruisme lors des attentats d’Auckland et la pandémie du Covid-19, tout en donnant naissance à un enfant durant son premier mandat, est un magnifique exemple du « make compassion great again » au sein d’un gouvernement. Pour Vjosa Osman, docteure en sciences juridiques et première femme présidente de l’Assemblée du Kosovo, la pandémie de la Covid-19 a attesté du leadership solide des femmes tant par leur clarté, que par leur empathie et leur sens solide de la communication dans leurs prises de décisions et leurs politiques : « Lorsque les femmes occupent des fonctions de haut niveau sur les plans politique et étatique, elles contribuent à l’adoption de politiques plus équilibrées, plus sensibles à la dimension de genre, plus respectueuses de l’environnement, et plus avant-gardistes » (1).
J’ai moi-même rencontré une ancienne ambassadrice des Etats-Unis qui racontait qu’elle avait été conviée à assister à une négociation entre hauts fonctionnaires de plusieurs états africains concernant un problème (je ne souviens plus précisément lequel). Lorsqu’elle fut invitée à se présenter, elle conclut en demandant : « Comment se fait-il qu’il n’y ait aucune femme à la table des négociations ? » Quelqu’un lui répondit : « Parce-qu’elles font des concessions. » « Bingo ! leur dit-elle, c’est bien cela dont vous avez besoin le plus ! »
Le combat pour l’accès des femmes à des postes de leadership doit donc en effet figurer au cœur du changement de nos entreprises et de nos modèles organisationnels. Il ne s’agit pas uniquement de revendiquer une égalité légitime, mais de comprendre que sans la présence des femmes, ces organisations se privent de précieux atouts.
J’ai souvent entendu le Dalaï-lama déclamer qu’il était un féministe convaincu. Il explique son raisonnement de la façon suivante : « Les tribus de chasseurs-cueilleurs nomades étaient des sociétés égalitaires non régies par des chefs. Puis vint l’âge de l’agriculture sédentaire et le début de l’accumulation des richesses. Des fauteurs de troubles se manifestèrent et il devint nécessaire de faire appel à des chefs pour maintenir l’ordre. La force physique étant essentielle à cet égard, la domination des mâles s’instaura.
Puis vint l’âge de l’éducation, de l’intelligence et de la raison, autant de domaines dans lesquels la femme et l’homme sont égaux. Bien qu’il reste de très grands progrès à accomplir, nous sommes tout, au moins à présent, entrés dans l’âge de l’égalité entre hommes et femmes. »
« Si l’on veut préparer l’avenir, il semble bien que la qualité suprême, celle dont la société a le plus besoin, est l’altruisme, la disposition à prendre soin des autres et à être concerné par leur sort. Or, les femmes sont naturellement plus disposées à la sollicitude et à la compassion que les hommes. Cela vient sans doute originellement de l’instinct maternel qui les pousse à être attentionnées à l’égard de l’enfant qui dépend d’elle, à se demander s’il souffre, s’il a soif, à être plus encline que l’homme à prodiguer affection et compassion. Placés devant la nécessité de favoriser le développement d’une société plus altruiste, il semble donc souhaitable, d’entrer désormais dans l’ »âge de la femme ». Pour ma part, je me considère donc comme un féministe.
Lorsque le Dalaï-lama exposa ce point de vue à la conférence de la Paix de Vancouver en 2009, conférence à laquelle participaient quatre femmes prix Nobel de la Paix, Mary Robinson, première présidente femme de l’Irlande et ancienne Haut-Commissaire des Nations Unies aux Droits de l’Homme, commenta : « Si je me dis féministe, ça ne surprend personne. Mais si le Dalaï-lama se dit féministe, voilà qui frappe vraiment les esprits ! »
Le Dalaï-lama ajoute fréquemment que s’il s’avère que ce temps viendra où les femmes exerceront une influence plus grande dans la société, un prochain Dalaï-lama non seulement pourrait être une femme, mais devrait l’être.
De même Mary-Ann Mason, ancien Dean de l’université de Berkeley, et épouse de mon ami le psychologue Paul Ekman, me disait mi- plaisantant, mi-sérieusement « Les femmes qui revendiquent seulement l’égalité avec les hommes, sont singulièrement dénuées d’ambition ! »
Le système patriarcal est très largement étendu dans les entreprises et institutions pyramidales, ce qui génère, entre autres, une sous-représentation des femmes à des postes de responsabilité et de pouvoir. Peter Guy Northouse, professeur émérite à l’université du Michigan, définit le leadership comme le « processus par lequel un individu influence un groupe d’individus dans le but d’atteindre un objectif organisationnel ». (2)
L’essence d’un leader réside donc dans son influence, c’est-à-dire dans sa capacité à transmettre des valeurs au plus grand nombre. Ces notions de valeur et d’influence nous appellent à choisir et à déterminer ce que nous voulons être, la structure que nous souhaitons incarner mais aussi à décider de ce que nous allons transmettre et laisser aux générations futures. Quelles sont nos intentions ? Perpétuer des stéréotypes sexistes qui font du parcours de vie des femmes de véritables labyrinthes (3) et qui construisent une image erronée de la masculinité, souvent source de déséquilibre dans la société ? Ou bien, choisissons-nous d’évoluer collectivement ?
Frédéric Laloux travailla plusieurs années dans une grande entreprise et il en est ressorti profondément insatisfait. Dans son livre remarquable Reinventing organizations (4), il remarque que dans beaucoup d’entreprises seule la part masculine est valorisée, c’est-à-dire la détermination, le rationnel, la rigidité. Le féminin est quant à lui dissimulé, voilé, abandonné. Ce rejet du care, de la considération d’autrui, de la coopération, de la sensibilité empathique, de notre vulnérabilité, entraîne un déséquilibre émotionnel qui conduit souvent au burnout.
Une étude menée à l’aide du Questionnaire sur le leadership éthique (QLE) auprès de 398 administratrices et administrateurs scolaires du Québec et de l’Ontario a permis de mieux discerner les dimensions éthiques ainsi que la sensibilité éthique de ces leaders. Au terme de cette recherche, les résultats confirment que les trois dimensions éthiques, soit l’éthique de la critique, l’éthique de la justice et l’éthique de la sollicitude, sont observables tant chez les femmes que chez les hommes. Pour autant, la présence de la sensibilité éthique est plus marquée chez les femmes. (5)
Quelle que soit notre appartenance biologique, nous sommes tous le jouet d’émotions diverses. Chacun redoute la souffrance et aspire au bonheur. Les normes masculines qui régissent le management actuel sous-estiment l’importance des émotions (bien qu’elles interviennent dans toutes nos décisions), et ne prennent pas suffisamment en compte les motivations autres que l’intérêt personnel, à savoir l’altruisme et la solidarité. Comme le souligne l’économiste Denis Snower, « il est temps d’écouter la voix du care, à coté de la voix de la raison ». (6)
La voix de la sollicitude est nécessaire. Elle est fondée sur une interprétation différente de la nature humaine et permet d’inclure naturellement dans l’entreprise et l’économie, comme nous le faisons dans notre existence, l’empathie, la capacité de se mettre à la place de l’autre, la compassion pour ceux qui souffrent, et l’altruisme qui inclut toutes ces qualités. S’ajoutant à la voix de la raison, la voix de la sollicitude peut changer fondamentalement notre volonté de contribuer à la richesse commune.
Poursuivre la formation éthique et l’inclusion des femmes à des postes de responsabilité est une véritable nécessité. Cette prise de conscience de la complémentarité du féminin et du masculin, tant à notre échelle individuelle qu’à celle de la société et des institutions privées et publiques, permettrait d’envisager les situations dans une perspective plus ouverte, de développer nos potentiels intérieurs mais aussi d’intégrer collectivement un équilibre sociétal crucial pour notre avenir.
Pour en découvrir davantage sur le sujet, rendez-vous le 8 mars 2021 à 19h pour une table ronde en LIVE avec Laurence Bibas, Hermès Garanger et Caroline Lesire >>>
https://www.facebook.com/events/867879743783618/
Karuna-Shechen, l’organisation humanitaire que nous avons fondée il y a vingt ans, agit concrètement en Asie pour soutenir des femmes et leur proposer des opportunités de leadership. Pour en savoir plus >>> https://karuna-shechen.org/fr/actualite/les-femmes-leaders-de-changement/
Notes
(1) Pourquoi le leadership des femmes ne fait-il pas les gros titres ?
Take Five: “Women leaders around the world have demonstrated successful management of the pandemic”
(2) Peter Guy Northouse, Leadership theory and practice
(3) Les femmes et le leadership
(4) Laloux, Frédéric. Reinventing organizations : la version résumée et illustrée du livre phénomène qui invite à repenser le management. Diateino, 2016.
(5) Le leadership des femmes et des hommes : plutôt violet que rose ou bleu – Recherches féministes
(6) Dennis Snower, discours d’ouverture au Global Economic Symposium (GES), 2004.