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Au-delà du spécisme

Mr3978

Au 20ème siècle, à la fin des années 60 et pendant les années 70, un nouveau mouvement en faveur des animaux s’est développé et ses effets ont continué à se faire sentir jusqu’à aujourd’hui. Ce mouvement a entraîné un changement majeur dans l’attitude des société occidentales à l’égard des animaux. Un demi-siècle après la publication du roman « The Jungle« , de Upton Sinclair, Ruth Harrison a publié « Animal Machines: The New Factory Farming Industry« , dans lequel il décrit également les conditions abominables qui ont prévalu, et qui continuent à prévaloir, dans l’industrie de production de la viande. Peu de temps après cette publication, le « groupe Oxford » s’est formé, en rassemblant un certain nombre d’intellectuels et de personnalités autour du psychologue Richard Ryder. Celui-ci a publié plusieurs ouvrages et pamphlets dénonçant les abus dont les animaux sont les victimes. En 1970, l’un de ses essais a introduit un nouveau terme anglais, « speciesism » (traduit par spécisme en français), qu’il a mis en avant afin d’attirer l’attention sur le fait que notre attitude à l’égard des animaux s’apparentait à du racisme ou à du sexisme. Il a décrit cette lumineuse découverte de la façon suivante :

« Les révolutions des années 60 contre le racisme, le sexisme et le classicisme sont presque passées à côté des animaux. C’était un problème pour moi. L’éthique et la politique à cette époque ont totalement ignoré les êtres non-humains. Tout le monde semblait préoccupé uniquement par les préjudices à l’égard des être humains. Comme si nous n’avions pas entendu parler de Darwin! Je détestais le racisme, le sexisme et le classicisme moi aussi, mais pourquoi s’arrêter là? En tant que chercheur en médecine, j’étais convaincu que les autres espèces animales étaient capables d’éprouver de la peur, de la douleur et de la détresse tout autant que moi. Il fallait donc bien faire quelque chose sur ce plan-là. Nous avions besoin de faire le parallèle entre la terrible situation des autres espèces et la nôtre. Un beau jour de 1970, plongé dans ma baignoire dans le vieux manoir de Sunningwell, près d’Oxford, ça m’est venu d’un seul coup : SPÉCISME! J’ai tout de suite écrit une brochure à ce propos et je l’ai distribuée autour d’Oxford ». (1)

Au début personne n’a prêté attention à ce pamphlet, jusqu’à ce que Peter Singer, un étudiant d’Oxford, prenne contact avec Richard Ryder et que naisse alors le concept de « libération animale ». En 1975, Singer écrit un ouvrage sur le sujet et atteint une audience internationale. Le titre de l’ouvrage, « La libération animale », est aussi devenu le nom du mouvement. (2) D’autre voix se sont fait entendre et sont venues enrichir le débat, en particulier celle du théoricien principal du mouvement pour les droits des animaux, Tom Regan, ainsi que les primatologues Jane Goodall et Frans de Waal, qui sont allés encore plus loin en démontrant que les animaux ressentaient des émotions complexes et très variées incluant l’empathie. Plus récemment, nous avons aussi entendu l’écrivain Jonathan Safran Foer, et bien d’autres auteurs encore, parler de l’éthique animale, des droits des animaux et plus généralement de notre relation aux animaux.

L’émergence d’ONG en tant qu’acteurs de la vie sociale et de la politique dans les domaines de l’environnement, du développement, de l’action sociale, des droits humains et des droits des animaux sera certainement perçue à l’avenir comme un phénomène significatif de la fin du vingtième siècle, comme le dit Rémi Parmentier, l’un des fondateurs de Greenpeace International. (3)

Parmi les ONG actives dans la protection des animaux, il faut distinguer deux écoles. Celles-ci sont en accord dans la plupart des cas, mais diffèrent cependant sur un certain nombre d’entre eux : celles dont la mission est de protéger la biodiversité dans un contexte environnemental (Greenpeace, le WWF, l’EIA ou Oxfam), et celles dont le mandat est de protéger la vie animale en tant que telle (l’IFAW, ou Fond International pour la Protection des Animaux, et Sea Shepherd en sont deux exemples représentatifs). En définitive, que ce soit en parlant au nom de la protection des animaux avec qui nous partageons nos vies ou au nom des écosystèmes qui soutiennent toute vie sur terre, les deux écoles demandent, chacune à sa façon, que nous reconsidérions de façon critique la croyance selon laquelle l’humanité est au centre du monde. (4)

La bienveillance, l’amour altruiste et la compassion sont des qualités incompatibles avec le parti-pris. Délimiter le champ de notre compassion à certains êtres seulement, en l’occurrence les humains, restreint celle-ci quantitativement mais aussi qualitativement et l’appauvrit.

Il reste sans aucun doute beaucoup à faire, mais il est indéniable que le monde occidental prend de plus en plus conscience qu’il lui est impossible de défendre haut et fort des valeurs morales décentes et cohérentes tout en excluant du champ éthique la majorité des êtres sensibles peuplant cette planète.

Notes

1. R. Ryder, “Speciesism Again: The Original Leaflet,” Critical Society 2 (2010): 1–2.
2. P. Singer, « La libération animale » (Grasset, 1993 pour l’édition française).
3. Propos qui m’ont été rapportés personnellement.
4. Le WWF est le Fonds Mondial pour la Nature; l’EIA est l’Agence d’Investigation Environnementale.