Au Forum Economique Mondial de Davos, sans une session consacrée aux ‟leçons du passé en vue d’élaborer les valeurs du futur » à laquelle je participais, Jody Williams, qui a reçu le prix Nobel pour avoir milité inlassablement et avec succès pour l’interdiction des mines antipersonnel, expliqua comment elle continuait à interpeller les représentants de l’O.N.U. appliquant leurs procédures longues et bureaucratiques : « vous réfléchissez pendant des heures pour déterminer l’endroit où placer une virgule dans un texte, mais ce dont vous avez besoin c’est tout d’abord de sentir et d’agir comme des êtres humains. Cessez de faire une séparation entre l’être humain que vous êtes et le travail que vous faites. »
Pour illustrer ses propos, Jody et son équipe obligeaient les représentants de l’O.N.U. à Genève voulant se rendre sur le lieu de négociations, à traverser une reconstitution de terrain miné situé aux portes du bâtiment des Nations Unies. Ils réussirent à faire en sorte qu’une forte explosion se produise toutes les vingt minutes pendant la délibération pour rappeler aux négociateurs qu’avec la même fréquence une mine antipersonnel éclatait quelque part dans le monde. Elle a amené des témoins handicapés qui ont réchappé de justesse à l’explosion d’une mine antipersonnel. Elle a redonné aux négociateurs le sens de l’expérience vécue, de la douloureuse réalité et de l’humanité souffrante.
Durant cette session j’ai suggéré qu’un programme « témoins » soit inclus dans les procédures du Forum Economique Mondial. Prenons le cas d’Haïti par exemple, Bill Clinton a lancé un vibrant appel à l’aide. On peut penser que la présence à ses côtés d’un survivant sorti des décombres aurait pu toucher encore plus fortement le cœur des donateurs. De même lors de discussions sur le changement climatique, la condition des femmes et d’autres questions urgentes, le témoignage d’une personne qui souffre effectivement de ces défis permettrait sûrement de raviver chez les économistes le sens de ce qu’est concrètement l’humanité.